Un homme devant une machine

Norme EN 17975 et démarche HOT LoToTo : sécuriser la maintenance sans perdre en performance

Parole d'expert25/06/2025

Les énergies et les fluides non contrôlés lors des opérations de maintenance représentent une menace sérieuse pour la sécurité, entrainant chaque année des accidents graves.

Nous avons questionné notre expert Jean-Pierre Avellaneda, CEN convenor de la commission EN 17975 et membre actif de plusieurs autres commissions.

Dans cette parole d’expert, il vous livre ses connaissances sur la mise en œuvre de la norme européenne EN 17975 – qui remplace en France la norme NF X60-400 – et évoque la démarche HOT LoTo, qui concilie maîtrise des risques et performance.

Pourquoi une norme européenne pour plus de sécurité en maintenance ?

Chaque semaine, des accidents graves sont déplorés lors d’opérations de maintenance. C'est dans ce contexte qu'une norme européenne, l'EN 17975 (parution été 2025), est attendue pour renforcer la sécurité en maintenance.

La mission de la maintenance est de “maintenir ou rétablir en état de fonctionnement” une installation ou une machine. Cette notion recouvre de multiples activités :

  • entretien courant (nettoyage, réglage, graissage…)
  • dépannage urgent, maintenance corrective
  • maintenance préventive, inspections
  • maintenance améliorative, modifications, travaux neufs
  • etc.

Ces opérations sont en fait réalisées et pilotées par de multiples acteurs, au-delà des seuls services techniques :

  • Services généraux (entretien, facility management)
  • Méthodes, travaux neufs, bureau d’étude (projets)
  • Entreprises extérieures, maîtrise d’oeuvre (chantiers)
  • Exploitant, équipes de production (auto-maintenance)

Tous ces acteurs sont surexposés aux risques lors d’opérations de maintenance.

Une analyse conjointe de la Carsat, de l’INRS et de l’AFIM sur l’accidentologie lors d’opérations de maintenance a démontré une occurrence d’accidents plus de 3 fois supérieure à la moyenne et un taux de mortalité jusqu’à 8 fois supérieur.

Interagir avec une machine lors d'une maintenance, c’est s’exposer aux dangers liés aux énergies et aux fluides.

La future norme CEN donne des lignes directrices et des recommandations pour maîtriser les risques liés aux énergies et fluides lors d’opérations de maintenance. 

Sécurité des interventions de maintenance, un enjeu complexe

Plus de 50% des accidents rencontrés lors d’interventions de maintenance sont dus à des énergies et des fluides mal maîtrisés (électrique, hydraulique, pneumatique, mécanique, vapeur, produits chimiques…).

Trois grandes natures de causes sont à traiter pour progresser :

  • Humaines (compétences, comportements et management).
  • Organisationnelles (rôles & missions, procédures, processus),
  • Techniques (consignabilité, conformité),

Au-delà des simples concepts de Lo-To (Lock-Out, Tag-Out, soit cadenasser et étiqueter) ou Lo-To-To (Lock-Out, Tag-Out, Try-Out, soit cadenasser, étiqueter et vérifier l’absence d’énergie), il est impératif d'intégrer ces trois natures de risques par une approche globale. C'est ce que nous nommons chez Apave la démarche "HOT Lo-To-To".

Il est également essentiel de ne pas considérer uniquement la seule affectation à un poste de travail, mais de regarder – à date – les tâches et activités réalisées avec, dans et autour des machines et installations.

Il reste souvent deux natures d’accidentologie à traiter qui sont difficiles à résorber en milieu industriel :

  • les accidents de forte fréquence et gravité modérée, telles les chutes de plain-pied, qu’il faut souvent adresser par des actions sur le management, la culture et les comportements en matière de sécurité,
  • les accidents de forte gravité et de faible fréquence, liés à une maîtrise des énergies insuffisante lors des opérations de maintenance et d’entretien.

Du point de vue réglementaire, seule la norme NF C18-510 sur l’électricité et le Code du Travail étaient à la disposition des acteurs de la maintenance avant la publication de la norme NF X60-400, qui va être remplacée sous peu par la norme européenne EN 17975.

La directive machine, quant à elle, garantit la sécurité de l’exploitation et de l’entretien courant, mais elle n’évoque le sujet de la maintenance exceptionnelle qu’à la marge et de manière très globale. De plus, la conformité établie par le fournisseur n’est souvent plus valide car l’installation a été modifiée au fil du temps, son utilisation a changé, l’organisation du travail est différente (par exemple introduction d’auto-maintenance)…

Comment peut-on sécuriser les interventions de maintenance ?

Lorsque se pose la question d’une intervention en sécurité pour une opération de maintenance, il convient de considérer toutes les énergies et les fluides en présence, et pas seulement l’électricité. Lors de la mise en œuvre de la démarche on doit s’intéresser à tous les risques professionnels directs et indirects liés aux énergies et fluides. C’est la donnée d’entrée qui permet de définir les mesures de mise en sécurité les plus efficaces. Dresser une « check-list » qui soit une véritable clé d’entrée pour l’analyse des risques systématique préalable à chaque situation de maintenance est une bonne pratique à mettre en œuvre.

Les contraintes et causes habituelles de défaut de maîtrise de ces risques en maintenance sont :

  • le manque d’informations (ex : plans obsolètes), de standards et procédures,
  • les défaillances de communication (ex : entre équipes production et maintenance, au passage de consigne entre équipes…),
  • les installations vétustes,
  • les problèmes d’accessibilité,
  • les problèmes de conception et de conformité (et de modification non contrôlée),
  • le manque de fiabilité des organes de sécurité et des moyens de blocage,
  • le défaut d’entretien (ex : pas de plan préventif de l’équipement ou des organes de mise en sécurité),
  • les idées reçues (appuyer sur un bouton d’arrêt d’urgence ne met pas forcément l’agent en sécurité si les flux énergétiques ne sont pas pris en compte).

La sécurité n’est pas tributaire des seules considérations techniques. Les facteurs organisationnels et humains jouent un rôle important.

Comment concilier urgence de l’intervention et sécurité ?

En maintenance il faut trouver une solution rapide pour ne pas bloquer un flux de production trop longtemps. En dépannage urgent, il est fréquent que 80 % de la sécurité des opérations de maintenance repose sur un bon comportement de l’opérateur.

Ces opérations de maintenance sont particulièrement accidentogènes. Parfois en sous-effectif chronique en raison de la pénurie sur le marché, les agents de maintenance sont souvent surchargés de travail et enchaînent astreintes et heures supplémentaires.  La pression du quotidien face à l’enjeu de sécurité, est une équation difficile. Et même dans l’entreprise idéale, le mainteneur se met souvent lui-même “la pression”, car son métier, c’est de dépanner les autres. Les accidents où un témoin nous dit que la victime a eu un comportement à risque “pour rendre service”, malheureusement, se rencontrent souvent.

Le comportement de chacun est une équation résultant de l’individu, mais aussi de la culture d’entreprise, des pratiques des managers et de l’organisation. Deux types de profils comportementaux « à risque » existent : le novice (forte fréquence d’accidents, peu de gravité) et l’expert qui s’est accoutumé au risque, subit peu d’accidents mais avec une forte gravité. Il faut s’inspirer des pompiers qui s’entraînent et ont des protocoles systématiques dans l’approche du risque pour ne pas céder à la pression et commettre une erreur, insérer un “stop” systématique de prise de recul et d’analyse de risque avant chaque intervention.

Il est également indispensable d’établir une procédure générale de sécurisation des énergies et fluides, pour fixer le niveau d’exigence et définir les règles. Elle doit s’articuler avec les autres processus et règles de l’entreprise, et traiter les multiples cas (entreprises extérieures, changement d’équipe, etc.).

La production, partenaire de la maintenance, doit être impliquée dans la démarche, de même que l’encadrement et la direction. L’implication de la hiérarchie sur le long terme est primordiale pour le succès.

Pour les interventions programmées (typiquement le préventif), il est possible par la préparation d’optimiser à la fois la durée d’arrêt des machines et la sécurité. La démarche Apave insiste sur l’intérêt de revenir aux bonnes pratiques de maintenance (ratio maintenance subie/préparée, méthodes, fiabilisation, maintenabilité…) pour gagner à la fois en sécurité et en performance.

Quelles évolutions propose la norme CEN ?

La commission de normalisation a travaillé en capitalisant sur la mise en œuvre de la NF X60-400 et les expériences croisées des industriels, d’APAVE et de l’INRS. Elle a pris en compte les facteurs de risques techniques, organisationnels et humains. La norme ne se base pas seulement sur des expériences franco-françaises mais s’inspire de démarches internationales comme le Lock Out Tag Out (Lo-To), ou le Lock Out – Tag Out – Try Out (Lo-To-To) et des guides de bonnes pratiques à travers le monde.

Le recensement des sources d’énergies, le choix de processus de mises en sécurité, le principe d’analyse de risques, la localisation de dispositifs de blocage, la mise en place de « cadenassage » sont autant de mesures opérationnelles proposées par la norme. Auxquelles s’ajoutent des logiques de compétences, de formations, de qualifications. Elle donne des conseils spécifiques concernant les tuyauteries, la mécanique, intègre un logigramme, des modèles de fiches repères pour identifier les sources d’énergies dangereuses sur un équipement,…

L’analyse de risques est incontournable dans la mise en sécurité.

Cette analyse nécessite plusieurs compétences, et donc souvent faite à plusieurs (production, maintenance, intervenant) :

  • La connaissance des énergies et fluides liés de l’équipement et à son environnement
  • La connaissance des énergies et fluides liés au fonctionnement, au procédé
  • La connaissance des énergies et fluides apportés par l’intervention (ex soudure)

La mise en place d’habilitations et de qualifications dans l’entreprise est recommandée, avec un système de formations et d’évaluations. La personne ayant la vue d’ensemble de toutes les énergies est généralement celle qui a la compétence pour faire l’analyse de risque,  ce n’est pas forcément un expert de toutes les énergies.

Cinq processus de mise en sécurité sont décrits dans la norme :

  • l’isolation renforcée
  • l’isolation simple enrichie de mesures compensatoires
  • la neutralisation par système de commande
  • la gestion de la mise en sécurité machine en fonctionnement (ex pendant la phase d’essai ou de diagnostic)
  • le cadenassage et la signalétique

La norme CEN opère sur la base du volontariat. 

Elle explique les liens entre le sujet des énergies et fluides avec les autres processus de l’entreprise : maintenance, exploitation, sécurité, conception…

Elle éclaire également la problématique de la “zone grise”, qui est principalement le flou organisationnel des opérations de maintenance réalisées par la production.

Les opérations récurrentes peuvent être traitées par des procédures standard. Pour le non-récurrent, la norme propose en annexe des éléments de procédures génériques qui encadrent les jalons de mise en sécurité, soutenues par des aides opérationnelles (plans à jour, fiches Lo-To qui liste les énergies en présence et les dispositifs de consignation associés, management visuel, chargés de consignation,…).

Pourquoi la gestion du changement est le facteur clé de succès ?

La démarche HOT Lo-To-To améliore l'efficacité et la sécurité des opérations de maintenance grâce à la combinaison de leviers Humains, Organisationnels et Techniques.

Il n’existe pas de solution magique. Le sujet étant complexe et chaque entreprise a un contexte différent, une culture, des installations, un process, une organisation une maturité différente... Il est indispensable de débuter par un diagnostic complet HOT Lo-To-To pour cibler les bonnes priorités et adapter la démarche à l’entreprise.

Notre méthodologie de diagnostic comprend également en son sein une préparation au changement, afin de faciliter la mise en œuvre des préconisations et accompagnements très opérationnels.

  • Technique : diagnostic conformité/sécurité/maintenabilité/consignabilité, modes opératoires, fiche Lo-To, management visuel des points de condamnation des énergies… Dont la mise en place par équipement contribue également à changer les comportements.
  • Organisationnel : des modèles de documents de traçabilité, une trame de procédure générale de mise en sécurité des énergies et fluides, des aides pour les cahiers des charges, des orientations pour lister les énergies et fluides et les seuils à considérer.

Reste à traiter l’axe majeur complémentaire à la technique et à l’organisation : le facteur humain… Pour ce faire nous apportons tout un catalogue de formations (mainteneurs, exploitants, accueil entreprises extérieures, comités de direction, préventeurs…) mais également une démarche projet soutenue par de l’accompagnement au changement, des actions sur le management et la culture-comportement sécurité.

La sécurité n’a pas de prix mais représente un coût ! L’arbitrage entre le coût d’une mise en sécurité et le gain en sécurité est un sujet délicat à aborder. La mise en place de la démarche HOT Lo-To-To complète permet de minimiser à terme l’impact sur la performance telle le TRS (Taux de Rendement Synthétique), voire de générer un gain de performance grâce au retour aux bonnes pratiques de maintenance. Après mesure et analyse, le constat est frappant : sur du moyen terme, une bonne maintenance augmente la sécurité et améliore également le TRS.

En travaillant mieux, on gagne sur les deux tableaux, alors qu’avant on transigeait parfois avec la sécurité pour favoriser une intervention rapide. L’optimisation du système de mise en sécurité (via les fiches repères qui cartographient les énergies, des modes opératoires pré-préparés...) minimisera le temps supplémentaire pris pour les interventions. Le meilleur moyen de ne pas se mettre en danger en dépannage, c’est de ne pas avoir de pannes grâce à la fiabilisation des installations, la « consignabilité » (maintenabilité) à la conception ou par améliorations.

A contrario la démarche perdra en efficacité voire retombera dans le temps sans :

  • approche globale, adaptée au contexte
  • gérée en mode projet avec la composante gestion du changement,
  • réflexion à long terme
  • prise en compte des facteurs humains et organisationnels,
  • intégration dans le management de la sécurité
  • Articulation avec les processus métier

En conclusion, pouvez-vous dire ce que la démarche HOT Lo-To-To, basée sur l’EN 17975, améliore ?

Prenons l’exemple d’une démarche conduite chez un acteur agro-alimentaire :

Le secteur agro-alimentaire est compliqué car il nécessite beaucoup de maintenance, avec des délais très courts à cause du traitement des denrées périssables. Les marges sont faibles et les cadences élevées, avec des taux d’engagement d’installation très forts. Les équipes de maintenance interviennent sur des énergies très diverses, pas seulement électriques, mais aussi liées à la mécanique, aux fluides, à la température, à la pression, aux risques chimiques (décontamination par ex), etc.

De nouvelles installations cohabitent avec des anciennes, non conçues pour travailler en sécurité pour la maintenance. Le fort taux d’accidentalité a amené cet acteur à mettre en œuvre la démarche APAVE HOT Lo-To-To dans le cadre d’une politique Santé-Sécurité et de sécurisation de maintenance, tout en prenant en compte l’impact sur la performance.

L’impact a été mesuré factuellement (indicateurs TRS et Risque résiduel) et a démontré que la démarche a permis d’allier les deux composantes risques et performance. La mise en place de fiches repères, d’un repérage des vannes, associé au travail sur les opérations récurrentes ayant des modes opératoires standards, a accéléré la mise en sécurité et a permis de fiabiliser les interventions et l’analyse de risques.

La démarche est toutefois fragile, la direction de l’entreprise doit être constante dans sa priorisation de la sécurité.

   En résumé

L’analyse des risques est un préalable à la sécurisation des actions de maintenance. Plus que le poste, c’est l’activité dans sa globalité qu’il faut analyser tout en impliquant la direction. La norme EN17975 et la démarche HOT Lo-To-To APAVE proposent des process opérationnels permettant de concilier actions de maintenance et performance de l’entreprise. Montrer les coûts de mise en œuvre permet de dégager des moyens pour progresser et de gagner sur tous les plans, et de traiter le facteur humain par une gestion du changement efficace, en mode projet. Un effet collatéral de cette mise en œuvre : la détection de signaux faibles de dérives dans les process de l’entreprise.

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