
Gilles STAQUET
De multiples évolutions ont transformé les organisations et le contenu du travail dans les services concernés
Tout d’abord, notons l’évolution de la réglementation : la réforme du 5 mars 2007 a renforcé la place de la personne protégée et de sa famille, la plaçant encore davantage au cœur du dispositif. L’exigence de développer ou de maintenir l’autonomie des usagers s’est renforcée.
La perception des usagers a évolué : les majeurs protégés sont perçus par les professionnels comme étant de plus en plus dépendants (vieillissants, atteints de maladies neuro-dégénératives…) ; les mesures sont qualifiées comme étant de plus en plus « critiques ».
Les moyens financiers ne sont plus les mêmes, avec des dotations budgétaires de plus en plus contraintes pour les associations et professionnels du secteur.
Les processus de pilotage de l’activité, d’évaluation de la charge et de dialogue budgétaire ont évolué : les indicateurs dédiés (point mesure, point service) sont désormais prégnants mais ils sont difficilement compris des salariés et souvent perçus comme étant en décalage avec leur activité réelle.
Enfin, les partenariats autour des usagers sont qualifiés comme moins « denses et coopératifs », pouvant se traduire par un sentiment d’isolement des services MJPM.
Des évolutions qui impactent la santé et le bien-être des professionnels
Ces évolutions de fond induisent une adaptation permanente des structures, sur les plans stratégique, organisationnel, technique et humain. Elles impactent aussi parfois le bien-être et la santé des professionnels.
Durant la dernière décennie, nous avons perçu de la part de dirigeants ou instances représentatives du personnel de diverses structures du secteur, une préoccupation croissante relative aux conditions de travail. Celle-ci s’est notamment traduite par des demandes d’accompagnements à des démarches de prévention des risques psychosociaux. Elles ont permis de constater que rares sont les services MJPM pouvant se considérer comme « à l’abri » de ces risques.
Les problématiques de santé et sécurité sont d’intensité variable, selon les établissements, les métiers et plus généralement selon le niveau d’exposition des salariés aux divers facteurs exogènes (l’environnement du service et sa typologie d’usagers, ses dotations, ses partenaires …) ou endogènes (son organisation, son système managérial, sa culture).
Le spectre des situations et de leurs effets est divers : stress, usure et épuisement professionnels, tensions relationnelles internes, agressions et violences externes. Ainsi certains phénomènes comme l’absentéisme ou le turn-over peuvent s’accroître, alors même que, historiquement, ce secteur semblait moins concerné que d’autres.
De fait, la gestion des arrêts maladie et des départs, leurs incidences sur la charge et la qualité du travail, la complexité de la régulation quotidienne du travail et des aléas, peuvent devenir en soi un facteur aggravant du risque pour les collaborateurs comme pour leurs responsables.
Au cœur des situations de travail, des facteurs multiples et combinés
Si les mandataires sont bien souvent « en première ligne », les situations de travail problématiques ne touchent pas que cette profession. Les services supports (assistants, comptables, etc.), l’encadrement, les directions sont eux aussi exposés à des contraintes diverses.
Parmi celles-ci, l’intensité et la complexité du travail peuvent exposer ces professionnels à des situations de stress.
- Les exigences « quantitatives » sont souvent présentes : nombre de mesures accompagnées ; transfert de charge des absents sur les salariés restant ; révision constante des priorités au quotidien.
- Les exigences « qualitatives » contribuent également à un ressenti de charge : la complexité et la diversité des sujets abordés dans l’exercice des mesures (juridiques, économiques, relationnels, médicaux…) nécessitent de développer et de mettre à jour ses connaissances, d’accueillir et tutorer de nouveaux professionnels manquant d’expérience. De même la vision parfois erronée ou floue du périmètre du mandat par les usagers ou les partenaires des services MJPM peut contribuer à des sollicitations dépassant les prérogatives légales des mandataires et complexifiant leur activité.
La survenue et la régulation d’évènements jalonnant l’exercice des mesures (problèmes familiaux, financiers ou santé pour les usagers) induisent la recherche permanente de données et la nécessité de formaliser et tracer quotidiennement les informations reçues sur les outils informatiques partagés.
Dans ce contexte d’intensification du travail, la reconnaissance statutaire et financière de la profession est unanimement vécue comme faible au regard des exigences du métier, et peut contribuer à la fois au manque d’attractivité de celui-ci ainsi qu’au phénomène d’usure.
Des situations de tensions relationnelles existent : le dialogue professionnel et les coopérations sont parfois difficiles entre métiers du fait de la difficulté à travailler ensemble sur des dossiers nombreux, complexes, et dans des contraintes temporelles fortes. Le « qui fait quoi » et les glissements de tâches peuvent également contribuer à des divergences voire des tensions entre professionnels.
Des agressions physiques ou verbales par des usagers peuvent occasionnellement survenir à l’accueil des services, en visite à domicile ou plus régulièrement par téléphone. Dans la grande majorité des cas, les motifs sont liés à des questions de gestion financière (refus de dépasser les montants alloués prévus dans le budget) ou organisationnelles (ne pas pouvoir traiter immédiatement une demande d’usager, indisponibilité du mandataire pour répondre à un appel).
Enfin on note des exigences de charge émotionnelle, liées au fait que les mandataires sont quotidiennement en contact d’usagers en situation de précarité, de maladie, d’isolement social, et pour lesquels la présence d’un MJPM est parfois le seul support et la seule écoute possibles. Face à ces sollicitations les professionnels ont bien souvent le sentiment de ne pas pouvoir améliorer les situations et de se trouver en limite de capacité. De plus un certain nombre de salariés ne bénéficie pas d’espace de régulation, par exemple de réunions d’analyse de pratiques professionnelles.
De fait la gestion des arrêts maladie et des départs, leurs incidences sur la charge et la qualité du travail, la complexité de la régulation quotidienne du travail et des aléas, peuvent devenir en soi un facteur aggravant du risque pour les collaborateurs comme pour leurs responsables.
Des régulations et des facteurs ressources essentiels à préserver
Les leviers d’engagement de ces professionnels sont notamment l’intérêt et la diversité du travail, les valeurs humaines et le besoin d’utilité sociale. Par ailleurs, les diagnostics et démarches de prévention mises en œuvre dans ces services n’ont fait que confirmer l’importance des ressources liées au collectif de travail et au management.
La cohésion d’équipe est une composante essentielle de la qualité de vie au travail au sein du secteur. Des services parviennent à organiser et préserver des espaces et leviers favorisant l’entraide et les coopérations : soutien technique de collègues experts sur un sujet, aide ponctuelle d’un pair en cas de pic de charge, organisation en binômes de mandataires.
Les pratiques de management, et notamment le soutien technique ou psychologique par les cadres de proximité ou par des cadres fonctionnels (psychologue interne), la prise de relais en cas de difficulté avec un usager, la régulation de la charge, sont autant de ressources régulièrement constatées, mises en œuvre par une hiérarchie elle-même majoritairement issue du terrain et consciente des besoins des collaborateurs.
Enfin, une dirigeance et une gouvernance proches des collaborateurs, vigilante à donner une vision structurante et claire du projet de service, impliquant les salariés à sa construction, et capables d’ajuster l’organisation et les moyens, constituent également un facteur ressource essentiel.
Des établissements capables d’innover et d’expérimenter pour préserver santé et qualité de vie au travail
Les démarches de prévention ont contribué à élaborer des plans d’actions singuliers à chaque structure mais bien souvent autour d’axes communs. Focalisés sur un risque prioritaire et critique dans certains services, comme par exemple le risque d’agression, ces plans d’actions peuvent aussi avoir l’ambition de traiter les diverses problématiques identifiées dans la structure, d’agir sur les causes et de façon systémique. C’est la prévention primaire.
5 finalités ressortent clairement en matière d’amélioration des conditions de travail :
- sécuriser les conditions d’accueil et de relations avec les usagers,
- réguler les contraintes de charge et clarifier le périmètre du mandat,
- développer les compétences et accompagner les jeunes professionnels,
- créer des espaces et outils d’échange sur le travail et décloisonner,
- développer et soutenir des pratiques managériales permettant de préserver le sens et la cohérence du travail,
- adapter les organisations et outils à des besoins nouveaux (télétravail, équilibre vie personnelle / vie professionnelle, dématérialisation…)
PLUS D'INFORMATIONS
Votre contact : Gilles Staquet - Psychologue du travail et consultant santé et qualité de vie au travail chez Apave - gilles.staquet@apave.com
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